Le règlement de Dublin ou l’absurdité du droit européen
Engagé dans la cause des réfugiés, Pierre Farge, avocat, dénonce le non sens du règlement de Dublin et démontre comment les institutions européennes, en essayant de communautariser le droit au nom de grands principes, entrent dangereusement en contradiction avec les systèmes juridiques nationaux.
Le point sur les impératifs que doit comprendre dans sa révision du texte la Commission européenne afin d’appréhender la crise migratoire européenne et ralentir l’effondrement de la zone euro.
Le règlement de Dublin établit une base de donnée européenne des empreintes digitales recueillies dans tous les pays d’entrée des migrants. Son objectif théorique est de déterminer rapidement l’État membre responsable de la demande d’asile – le premier où le pied est posé -, et ainsi éviter de saturer les services administratifs par des demandes dans tous les pays traversés.
- En réalité, le règlement de Dublin est inapplicable et inappliqué, qu’il s’agisse des Etats membres ou des migrants.
- Mettant une pression excessive sur un petit nombre de pays comme l’Italie ou la Grèce devenus incapables d’accueillir toute la misère du monde, ces derniers n’observent pas strictement leur obligation de relevé d’empreintes et poussent ainsi les exilés vers les pays du nord de l’Europe offrant de réelles perspectives d’emploi.
- Et quand bien même ces autorités respectent le relevé d’empreintes, les migrants l’ignorent et fuient d’eux-mêmes vers ces territoires.
- Pire que sa non application, le règlement de Dublin paralyse les migrants sur un territoire non souhaité. Dès lors que l’enregistrement des empreintes aux points d’entrée est opéré, il les oblige un an sur ce territoire et sanctionne les contrevenants d’un renvoi vers l’Etat responsable les paralysant jusqu’à six mois supplémentaires dont une partie en rétention.
- Dans le meilleur des cas, la procédure de réadmission opère un transfert à grands frais dans le pays d’enregistrement des empreintes, sous escorte policière, tantôt par avion de ligne, tantôt par avion privé. Et ce, sans savoir si ce dernier respecte ou non les exigences de relevé des empreintes, si bien que l’histoire recommence : à peine arrivés, ils ne perdent pas le nord qu’il regagne par leurs propres moyens.
- Dans le pire des cas, la demande de réadmission est refusée. Les migrants sont alors placés dans un vide juridique où ils ne peuvent ni demander l’asile du pays dans lequel ils se trouvent ni accéder aux droits sociaux et doivent attendre avec fatalité l’écoulement de délais absurdes.
- Poussant ainsi les réfugiés à se tenir à distance de toute autorité, voire à se brûler le bout des doigts pour ne jamais faire l’objet d’un relevé d’empreinte, le règlement de Dublin va ainsi contre l’intérêt des exilés, contre l’ordre et la santé publique.
- Encore pire, le règlement de Dublin conduit à la remise en cause de l’espace Schengen et donc de l’Europe.
- La course au rétablissement des frontières en Belgique puis aux Balkans et en Europe centrale remet en cause la libre circulation des personnes, et donc la confiance indispensable à la monnaie unique et au marché unique constituant jusqu’à ce jour les deux plus grandes réussites du projet européen.
- En voyant foulés ces principes fondateurs, l’Europe piège les migrants dans des pays comme la France ou la Grèce, suscitant la révolte des peuples et donc aggravant le chaos.
- Jusqu’à présent nous avons parlé du Grexit, du Brexit, du Belgexit sans jamais évoquer l’Europexit lorsque le continent sortira de lui-même après toutes les menaces de ses membres. L’Europe désagrégée. L’Europe économique incapable d’une cohérence politique. L’Europe sortie de l’Histoire comme l’Empire romain au IIIème siècle.
- C’est sans doute pour accélérer cette fin inévitable que le gouvernement continue de détruire le camp de Calais sans assurer d’alternative à trois mille cinq cents migrants.
- Avec un centre d’accueil provisoire plein et quelques tentes installées à la hâte le jour de l’expulsion par le gouvernement, les exilés sont condamnés à se disperser dans des camps voisins encore plus précaires.
- Avec un démantèlement qui n’a rien de progressif ou de collaboratif comme s’y était engagé le Préfet, les exilés sont laissés dans l’incompréhension.
- La destruction du bidonville va ainsi exactement dans le sens contraire d’une sortie de crise migratoire.
Confirmant une inévitable fin de l’Europe, une bonne réforme du règlement de Dublin, conjuguée à deux mesures transitoires européennes, pourrait pourtant nous faire gagner du temps.
- Tout d’abord, suspendre les mécanismes néfastes existants du règlement de Dublin.
- L’article 17 permet aux demandes d’asile effectuées dans un État membre qui ne peut pas les traiter de manière adéquate d’être transférées dans un État plus à même de le faire. Cette mesure d’attente répondrait immédiatement au problème des réadmissions.
- Pour que ce mécanisme dérogatoire fonctionne correctement, les Etats membres doivent impérativement sur son application en considérant par exemple les réadmissions impossibles vers l’Italie, Chypre ou la Hongrie comme cela a été fait pour la Grèce.
- Il est également possible de palier à la recrudescence de migrants en concentrant nos efforts en amont par des plans d’action rapide entre l’UE et les pays voisins des conflits comme la Jordanie ou le Liban, en plus de la Turquie. Ces pays sont les seuls à pouvoir encore endiguer le flux de migrants avant l’entrée en Europe. Pour cela,
- Tendons la main pour rendre totalement opérationnel les points névralgiques d’accueil des exilés et ainsi stabiliser la situation avant l’entrée dans l’Union. Cela permettrait de distinguer les migrants économiques des réfugiés de guerre, les premiers étant renvoyés immédiatement, les seconds identifiés et enregistrés. Cette perspective est tout à faire réaliste puisque 10 000 tentes protégeant 70 000 réfugiés ont été érigées il y a peu en Kurdistan irakien dans le camp de Domiz.
- Assumons entièrement ce coût car il bénéficierait à tous : d’abord à l’UE dont l’objectif est d’assurer le contrôle de ses frontières extérieures, puis aux pays limitrophes et aux points d’entrée dont le flux continu de migrants asphyxie le territoire.
- Conjuguons ces plans d’action à des mesures d’incitation comme l’allocation d’une aide susceptible d’aider à combler le passif de pays comme la Grèce; la politique migratoire allant ainsi jusqu’à renforcer une zone euro au bord de l’explosion.
- Et ne nous limitons pas au pacte Merkel-Davutoglu allouant à la Turquie 6 milliards d’euros pour accueillir plus de deux millions de réfugiés. Boiteux comme la justice, cet accord donne droit pour chaque expulsion des homme, femme, et enfant arrivés illégalement sur les îles grecques à installation d’un demandeur d’asile sur le territoire turc ; au mépris de la convention de Genève interdisant le refoulement des demandeurs d’asile dans des pays n’assurant pas la protection internationale et au mépris de savoir à qui incombe la responsabilité de ramener en Turquie le migrant parvenu clandestinement dans l’espace Schengen.
A la veille de l’application de ce nouveau régime d’expulsion des migrants vers la Turquie à partir du 4 avril 2016, l’enjeu porté par cette réforme du règlement de Dublin, et des mesures qui doivent l’accompagner en amont, est immense: il en va de l’avenir de l’Europe.
Ce postulat dépasse donc tout clivage politique. Il relève du bon sens.